Apprenons à survivre sans télé
10 septembre 1996
C'était un samedi soir un peu triste, il y a plusieurs années. Les amis étaient partis en week-end, je me retrouvais seul chez moi à ne rien faire. Pour savoir ce qu'il se passait dans le monde, j'ai allumé la télé, comme tant d'autres fois auparavant. Je voulais juste voir les nouvelles. Mais j'y suis resté collé pendant cinq ou six heures (le syndrome du papier tue-mouche). J'avais envie d'arrêter, mais une sorte de force maléfique me retenait, m'obligeait à fixer l'écran, à m'avaler tous les spots pour les produits de vaisselle, toutes les mauvaises séries américaines. J'étais quasiment dans un état hypnotique, mon cerveau mélangeait allègrement toutes les images qu'il recevait, je ne savais plus si Mitterrand allait finir par embrasser l'héroïne du feuilleton, si PPDA utilisait Soupline pour avoir les mains plus douces, si je devais acheter la dernière Renault ou un sèche-cheveux modèle 500 watts. Le cyclone télévisuel était en train d'avoir raison de ma santé mentale. Alors, dans un hurlement atroce et libérateur, j'ai crié...
Le coeur encore battant, couvert de transpiration, seul dans l'obscurité face au démon endormi, j'ai commencé à réfléchir.
A quoi sert la télévision?
A se cultiver? C'est une utopie oubliée depuis longtemps. Le vrai support de la culture est l'écrit. La TV est un média beaucoup trop rapide, kaléidoscopique, épileptique, sans mémoire, il est quasiment impossible d'y organiser de vrais débats de fond, d'y développer des analyses poussées. Ne parlons pas des films entrelardés de publicité (à quand un autocollant "Coca-Cola" sur la Joconde?), colorisés, défigurés.
A s'informer? Les journaux télévisés touchent un public si large et si varié qu'ils doivent simplifier à l'extrême leurs informations. Ils s'appuient sur l'image pour intéresser l'oeil, alors que c'est le cerveau qu'ils devraient d'abord viser. D'ailleurs, il n'est plus utile de démontrer aujourd'hui combien l'image est manipulable à volonté.
A s'amuser? Voir des pauvres types gagner des sommes astronomiques parce qu'ils ont répondu à une question stupide, voir des participants à un jeu débile se ridiculiser pour pouvoir passer trente secondes à la télé, écouter des blagues racistes ou bien grasses, ça ne m'amuse pas, ça me dégoûte.
A rêver? Les feuilletons, la plupart des films sont tous bâtis sur le même modèle. Des marionnettes qui n'ont rien d'humain (parce que trop beaux, trop riches, trop intelligents) vivent des aventures, des histoires d'amour extraordinairement banales. Cette uniformité tue l' identification et le rêve. Tout est montré, démontré, deviné, plus de place pour le non-dit et l'imaginaire.
Faites ce que vous voulez, moi j'ai jeté ma télé à la poubelle.
Au début, c'est un peu difficile, comme quand on décroche d'une drogue. Je ne savais pas qui était le dernier animateur à la mode, je me demandais pourquoi tout le monde se mettait à parler d'un film totalement merdique. C'est vrai, je n'ai pas pu suivre une bonne partie des conversations à cette époque.
On me dira que je me prive des quelques rares programmes intéressants. C'est peut-être vrai aussi, mais ça m'ouvre tant de portes ! Si vous me lisez, c'est que vous connaissez le Net. Voilà un nouvel univers à découvrir, sur lequel en plus vous pouvez agir et publier. Redécouvrez la presse écrite, quoi de mieux que de lire son petit Libé devant le café et les croissants du matin? Ecoutez encore et encore tous les disques que vous avez, vous verrez que certaines musiques ont une densité et une profondeur tout à fait adaptées à l'imagination et à la réflexion. Lisez un livre, plus grande invention de l'humanité. Allez au cinéma. Préparez votre prochain voyage. Invitez votre copine/copain au restau. Organisez une grosse fête. Il y a tant de choses à faire.
Et alors, au bout d'un certain temps, vous aurez totalement oublié la télévision et son univers de faux-semblants, d'apparence, de paillettes. Vous redécouvrirez le vrai plaisir d'un apéro avec les copains, d'une promenade dans les bois en amoureux, d'un concert, d'un bon bouquin. Et si par hasard vous retombez un jour sur une petite boite à images allumée, vous découvrirez à quel point prendre un peu de distance donne vraiment un autre regard sur ce média. Vous vous rendrez compte de la nullité ou de la perversité de la publicité, des informations, des émissions. Vous vous apercevrez que la télévision ne sert qu'à deux choses: à vous manipuler et à vous faire consommer. Mais cette fois, vous ne jouerez plus le rôle de la mouche prise au piège: vous éteindrez le poste.
Vous serez LIBRES !!!!