Spleen du samedi après-midi

Aujourd'hui, on est samedi. Pour une fois, j'ai réussi à me lever avant que les magasins ne ferment. Alors, je me suis douché, habillé, j'ai pris un café dans lequel j'ai mis les deux derniers morceaux de sucre que j'ai pu trouver. Et je suis sorti, carte bleue dans la poche, pour dépenser l'argent que je n'ai pas. Cinq cent balles de disques. De la musique médiévale, du celtique, et le dernier Miossec.

Sur la place de la Comédie, il y avait du monde. Ca faisait longtemps que je n'avais pas vu autant de gens d'un seul coup. Je n'ai plus l'habitude. Trop de temps passé devant un écran à discuter avec des fantômes vite oubliés, à chercher de l'information inutile, à programmer des routines stupides dont tout le monde se fout, à errer sans but dans les recoins de la Toile.

En passant devant une vitrine, je me suis regardé. Ce grand mec, avec ses Doc Martens et son short ridicule, tout en noir avec une grande étoile rouge sur la poitrine, et son petit sac plastique à la main, c'était moi. C'est bête à dire, mais là, au mileu de la rue, le doute m'a saisi. J'ai trouvé que j'avais l'air con. J'ai trouvé que j'avais l'air d'un adolescent stupide, alors que je frise la trentaine.

Je me suis vite échappé. J'ai eu besoin de retrouver le bordel et l'obscurité de mon appartement, sa vaisselle pas faite, sa poussière, ses cendriers qui débordent, les factures et les PV pas payés sur la table. De me cacher du soleil et des gens.

J'ai mis un disque de Loreena McKenitt, allumé une cigarette, la quinzième en deux heures. J'ai pensé à ma vie. Qu'est ce que j'ai construit de solide? Qu'est ce que j'ai appris? Qu'est-ce que j'ai apporté aux personnes qui me connaissent? Pas grand-chose. Un vide subtilement maquillé par toute une série de détails sans importance, comme ce site web. Je reçois des mails qui me disent: "ton site est super, continue". Menteurs! Vous l'avez déjà oublié. Ces quelques pages web n'ont comme seul but de développer mon ego, de me faire croire que je suis quelqu'un d'intéressant. Vous le savez. Vous aussi, vous connaissez cette petite satisfaction malsaine de savoir que quelqu'un a pensé à vous pendant les quelques secondes où il vous a écrit un mail, de savoir que tant de personnes sont passées sur votre site web quand vous regardez votre stupide compteur.

On a tous des téléphones, des fax, des portables, le minitel, le mail, l'internet. On ne peut plus se passer de ces prothèses à communiquer. Et pourtant, on ne communique plus. Ou mal. Allez faire un tour en IRC où les gens passent des heures à ne rien se dire. Allez voir dans les newsgroups comment l'agressivité refoulée de la vie réelle trouve enfin un exutoire. On nage dans l'illusion de la communication, et moi le premier. La preuve. Plutôt que de raconter ce que je pense à quelqu'un, je suis là comme un con dans mon appartement à taper ce texte que je mettrais peut-être en ligne ce soir.

L'internet, c'est une grande scène sur laquelle on joue une pièce de théatre. On croit qu'il y a des milliers de spectateurs/acteurs, mais non, il n'y a que soi-même, chacun dans son coin, chacun dans sa solitude. Eteignez votre ordinateur, votre portable et vous n'existerez plus. C'était inutile d'acheter un micro et une une connexion. Un grand miroir aurait pu faire l'affaire, et ça aurait coûté moins cher. Je sais, je me répète. Tant pis.

Le doute, putain, le doute. Quand il vous attrape, ça fait mal.

Cette impression de survivre plutôt que de vivre.





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