Pendons les informaticiens

On va encore me dire que je suis paranoïaque. C'est sans doute vrai, mais je préfère la paranoïa à la naïveté.

Notre société devient de plus en plus informatisée. Ce n'est pas très original que de dire ça. Tout le monde peut le constater quotidiennement. Les ordinateurs ont commencé à prendre de l'importance dans toutes les facettes de notre existence: vie administrative, vie professionnelle, et enfin, et c'est beaucoup plus grave, vie privée.

Loin de moi l'idée de brûler sur un bûcher tous les ordinateurs de la planète. On peut tirer pas mal de choses positives de cet outil. Mais le problème des ordinateurs, c'est qu'ils enregistrent tout. Votre heure de passage sur l'autoroute, vos achats au supermarché, votre courrier électronique, vos communications téléphoniques, vos connexions à l'internet. Tout ce que vous faites qui passe par l'intermédiaire d'un ordinateur laisse une trace quelquepart.

Le problème, c'est pour retrouver cette trace. Votre employeur, l'inspecteur de police, ou plus simplement les curieux ne savent pas toujours comment faire pour fouiller les mémoires de millions d'ordinateurs quand il s'agit de réseaux, ou de millions de kilo-octets quand il s'agit d'une machine non connectée. Dans le temps, pour connaitre les actions d'un individu, on engageait un détective privé, on recueillait des témoignages. Aujourd'hui c'est beaucoup plus facile. Il suffit de payer un informaticien pour faire le sale boulot.

Ne me dites pas que j'exagère. J'ai vécu ça. Des gens ont monté un dossier contre moi à partir de certaines traces bien choisies que j'avais naïvement laissé trainer sur l'internet. Un travail clairement réalisé par des spécialistes du grand réseau, habitués à la recherche des informations.

Un autre exemple? Un jour, dans un newsgroup international, un français a demandé quelquechose de totalement illégal. Il croyait qu'on était complètement anonyme sur l'internet. Pour lui démontrer qu'il se trompait plus que lourdement, j'ai fait une petite recherche à partir des maigres indications qu'il avait laissé passer. Je ne suis pas informaticien, mais je connais bien l'internet. J'ai retrouvé son nom, son adresse à Paris, ainsi que toute une série d'informations qui auraient pu le conduire directement en prison. Je lui ai dit de faire désormais très attention. Imaginons qu'un flic ou son patron aient envie de se documenter sur ce type. Ignorant tout des secrets du Net, ils vont engager un informaticien pour faire cette recherche.

J'ai lu quelquepart que la police, l'armée et les services secrets français développent énormément leurs services informatiques. Sans doute se sont-ils aperçus de l'importance des ordinateurs dans la société. Les entreprises, elles, apprennent doucement à se servir de l'internet, parce qu'elles rêvent de marketing personnalisé et ciblé, en d'autres termes, de fichage des consommateurs. Ne riez pas. Demandez aux gens qui connaissent bien le milieu, ils vous raconteront des choses très instructives.

C'est pour cela que je me demande si les informaticiens ne sont pas en train de devenir les complices des pouvoirs, politiques, judiciaires et économiques. Seule une minorité d'entre eux se bat pour le respect de la vie privée sur les réseaux. Ce n'est pas parce qu'ils sont plus fourbes que la moyenne, mais parce qu'ils maîtrisent un outil d'une puissance formidable, à double facette. Les ordinateurs et les réseaux sont en même temps un fabuleux instrument de démocratie et un terrible moyen de contrôle de l'individu. A quand les premières sociétés de détectives virtuels?

La collaboration avec le pouvoir judiciaire ne me dérange que moyennement. Les lois de notre pays sont théoriquement censées protéger le citoyen. On a déjà vu des juges saisir des disques durs comme pièce à conviction dans des affaires de terrorisme ou de corruption. Le grave problème est ailleurs. Qui empêchera un patron de tout savoir sur la vie privée de ses employés, une entreprise de créér un fichier recensant les goûts de ses clients, un homme politique d'intercepter le courrier électronique de ses adversaires, ou de rechercher sur les réseaux certains détails de leur vie privée? La CNIL? Elle est déjà bien débordée, et encore faut-il qu'il y ait plainte.

Alors, que faire pour éviter que nos ordinateurs ne se transforment en autant de mouchards électroniques? Une seule solution. Apprenez à les utiliser aussi bien qu'un informaticien. Apprenez à rechercher l'information rapidement, à ne laisser aucune trace, à vous anonymiser. Apprenez à crypter vos messages confidentiels ou le contenu de votre disque dur. Apprenez à pirater les mots de passe, à vous introduire dans d'autres systèmes, pour éviter qu'on ne vous fasse la même chose. Ca demande du temps, mais c'est possible. Ca ne vous parait pas important aujourd'hui, mais demain vous en aurez peut-être besoin.

Dominez les ordinateurs ou ce sont eux qui vous domineront.




[Plus de six ans après, j'ai un peu de mal à ne pas sourire en lisant ce texte. Le problème du respect de la vie privée n'a pas changé, au contraire, il s'est sans doute amplifié. Pas de problème avec ma dernière phrase. Mais je devais être rudement énervé pour pointer un tel doigt accusateur sur une profession entière. Je pense la prochaine fois écrire un texte qui s'intitulera: "Pendons haut et court tous les dentistes de la planète".]





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