Un accident de la route, la nuit

On est samedi, il est quatre heures du mat. Je suis devant mon ordinateur. Il y a moins d'une heure, en revenant à Montpellier, je roulais sur une petite nationale tranquille. Et tout à coup, à l'entrée d'un village, dans la lueur des phares, trois ou quatre personnes qui me font de grands signes. Juste à côté, une voiture dans le fossé.

L'accident venait juste d'arriver. J'étais le premier à passer. Je m'arrête, jette un oeil, demande s'il n'y a pas de blessés. Une dame a une coupure au front, le visage plein de sang. Impressionnant mais pas très grave. Une autre a mal aux côtes. Je propose de les amener aux urgences de l'hôpital. Non, merci, ça va. Les trois fils n'ont rien. Retour de boîte, esprit embrumé, route mouillée, vitesse un peu trop élevée. Classique. Ils ont de la chance, leur voiture a fait un vrai vol plané et ne ressemble plus à grand-chose. Je suis content, pour eux et pour moi: pas de mort, pas de blessé grave. Les symptômes du choc nerveux commencent à apparaitre: hurlements, engueulades, coups de poing et de pieds dans un panneau, larmes. Je vérifie si le réservoir n'est pas percé. Des trucs que j'ai appris à l'armée me reviennent.

Coïncidence: l'accident a eu lieu juste devant la gendarmerie, déserte à cette heure. Je me charge d'appeler les secours. On me demande s'il y a des blessés graves. Je dis non, mais bon, on sait jamais, mieux vaudrait quand même une équipe médicale. Pendant ce temps, une femme qui passait par là et qui par chance est secouriste commence à examiner les deux dames, et surtout à les calmer. J'aime aussi les femmes parce qu'elles comprennent les gens en détresse bien mieux que nous. Différence flagrante en ma défaveur: je m'occupe d'abord de la technique, elle s'occupe d'abord des gens.

Les pompiers arrivent en premier. Ils sont trois. Très professionnels, ils savent ce qu'ils font. En cinq secondes ils ont évalué la situation, posé les bonnes questions. Et très humains en plus. Une des dames ne veut pas monter dans l'ambulance, commence à crier. Un pompier la rassure gentiment, comprend qu'elle est en état de choc, plaisante un peu pour dédramatiser. Je les regarde. Rien à dire. Dix sur dix pour les hommes en rouge.

Quelques minutes après arrivent deux gendarmes. Le premier monte dans l'ambulance, fait sortir la dame au visage sanglant, qui conduisait, pour lui faire remplir les papiers du procès-verbal. Il pourrait attendre qu'elle se calme un peu quand même. Le second sort de sa camionnette, et regarde impressionné ce qu'il reste de la voiture. Et dit "Vous deviez rouler lentement, je suppose?". Un des gamins bredouille "la route était glissante". Le flic se fout de lui, d'un ton qui laisse deviner que ça le fait chier d'être là parce qu'il a raté la fin du film: "Glissante? C'est ça, ouais, c'est sûrement ça. Et en plus vous alliez pas vite, non?".

On ne leur apprend pas la psychologie, aux gendarmes? Ni l'humanité? Les types roulaient certainement trop vite, bien sûr, mais ce n'était ni le moment ni le lieu pour le leur dire, surtout sur ce ton-là. Etre sarcastique et se moquer de gens qui viennent juste d'échapper à la mort, qui sont encore en état de choc, c'est tout simplement inhumain.

J'ai demandé aux trois ados s'ils voulaient que je les ramène, mais non, leur soeur allait arriver. J'ai tenté de les rassurer en leur disant qu'ils avaient de la chance de s'en être tous sorti quasi-indemme. Puis je suis parti.

Si vous voulez qu'il vous arrive des trucs pas banals, vivez la nuit.





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