La fille aux cheveux rouges

C'était il y a quelques mois. Nous sommes dans cette petite salle de concert. Au Middle East. C'est un restaurant à Cambridge. Pas loin de la station de métro de Central Square. L'endroit me rappelle un peu le Rockstore Odéon à Montpellier. Il y a une petite scène. Nous sommes là pour voir un concert. Sufjan Stevens. La fille est à ma droite. On est allé à ce concert ensemble. Elle est presque entièrement vêtue de rouge. Elle a les cheveux roux, et de très beaux yeux verts. A un moment, elle se retrouve juste devant moi. Je peux voir la peau de son cou, très blanche. Pâle et douce. J'ai une envie folle de me pencher et d'embrasser cette peau blanche qui m'attire furieusement. Mais soudainement, je tombe. Sans aucune raison possible, je tombe par terre. Lentement. Au ralenti. C'est très curieux. J'ai l'impression que ça dure plusieurs minutes. Personne ne semble me voir. Je ne peux rien faire. Personne ne me demande si ça va. La fille en rouge ne me remarque pas. Je touche le sol doucement. Je suis étendu par terre. Je vois autour de moi des mégots de cigarettes et des verres de bière vides en plastique. Et des chaussures. Il y a une paire de Doc Martens juste en face de moi. Comme les miennes. Je ne bouge pas. En fait, je ne peux même pas tourner la tête. J'essaie de déplacer mon bras pour pouvoir me soulever du sol, mais je n'y arrive pas. Je tente au moins de regarder vers le haut. Impossible. Je suis là comme un con, étendu par terre, pendant un concert, avec plein de gens autour de moi. Mon univers se réduit a vingt centimètres carrés de sol noir, recouvert de mégots et de bière renversée. Personne ne s'est aperçu de ma chute. Curieusement, je peux bouger mes doigts, et je sens qu'ils collent entre eux, une impression que j'ai toujours eu en horreur. C'est la fin de la chanson. Je ne peux rien voir, mais j'entends parfaitement le concert. La fille en rouge applaudit le groupe. J'aurais du embrasser sa peau blanche tant que je le pouvais. Maintenant, c'est trop tard. Je veux me redresser, me mettre debout, c'est impossible. La chanson suivante commence déjà. Je me souviens très bien du refrain "I make a lot of mistakes", répété plusieurs fois. C'est marrant, on dirait presque ma voix. Juste avant de m'évanouir, je me souviens de la fille. Elle était habillée tout en rouge.

En fait, je ne suis pas tombé pendant ce concert, et je ne me suis pas évanoui. J'y ai juste pensé. J'ai eu l'impression que ça arrivait. Ca ne fait aucune différence. J'aurais dû embrasser sa peau blanche cette nuit-là. Ca n'aurait rien changé de toute façon. Juste avancé de quelques jours le début de cette histoire. Et sa fin, aussi.





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