Próxima estación: Matanza

J'ai habité à Madrid, et j'aime cette ville, pleine d'énergie, de mouvements, de bruits et de vie.

Le matin, je prenais le bus en contrebas du Palacio Real massif et blanc, jusqu'à la superbe Plaza Mayor. A côté de l'arrêt de bus, un aveugle de la ONCE vendait ses billets de loterie en hurlant de sa façon inimitable "Son de hooooy! Para hoooooy!". Puis je marchais vers la Puerta del Sol toute proche, en sifflotant une chanson de Joaquin Sabina, probablement "Caballo de Cartón" ou "Pongamos que Hablo de Madrid". Souvent je m'arrêtais dans un bar sur le chemin, pour prendre un petit café en lisant le journal du matin.

Le terrorisme de ETA était très présent à Madrid autour de cette époque. Curieusement, mon quartier était souvent visé par les bombes, parce que, je l'ai appris plus tard, beacoup de familles de militaires habitaient dans le coin. Une fois, j'ai entendu l'explosion, et vu une colonne de fumée depuis la fenêtre de mon appartment. Une autre fois, en allant au travail, le bus est passé devant la voiture détruite du fils d'un général à la retraite, qui venait de mourir déchiqueté une heure avant. La technique préférée des meurtriers barbares du commando Madrid de ETA était l'utilisation d'une bombe placée sous les voitures, explosant au moindre mouvement. Un mécanisme particulièrement horrible, puisque les victimes avaient les jambes arrachées, mais ne mourraient pas toujours. C'est ce qui est arrivé, à deux rues de chez moi, à une gamine de treize ans dont je me souviens encore le nom: Irene Villa. Elle doit avoir vingt-quatre ans aujourd'hui.

Je me souviens d'avoir pensé que les auteurs de ces attentats devaient forcément passer par ma rue. A cette époque, la France commençait enfin à lutter contre le terrorisme basque en collaboration avec l'Espagne. Ma voiture avec son immatriculation française, bien visible devant chez moi, aurait pu constituer une cible. C'était sans doute un peu irrationnel, mais plusieurs fois, j'ai regardé sous le chassis avant de me mettre au volant, et j'ai tourné la clef de contact en fermant les yeux. Je l'avoue: j'avais peur.

Hier, à Madrid, c'était l'immobilité, le silence et la mort. D'autres fous ont tué. Des centaines d'innocents sont morts, encore plus sont mutilés à vie, et tout ça pour rien. La gare d'Atocha, que j'ai souvent traversée, est devenue un vaste cimetière.

L'image la plus frappante de ce carnage, que je garde après la lecture des journaux, est curieusement celle-ci: une infirmière qui témoigne que "les téléphones portables des morts n'arrêtaient pas de sonner". Cette simple phrase concentre toute la tragédie et la souffrance engendrées par cet acte atroce.





[guillermito a gmail com] - [Home]