Ascenseurs maléfiques

Je suis en train de fumer dehors, dans le silence de la nuit. Depuis la rue, l'entrée fortement éclairée de mon bâtiment découpe un chemin de lumière vers les portes des ascenseurs, que je vois très bien de mon point d'observation oblique et discret. De temps en temps, un chercheur nocturne et solitaire entre dans le hall, probablement pour finir une expérience, arrêter une incubation. Il ou elle n'apprécie sans doute pas d'avoir à revenir au travail si tardivement dans le froid et la neige, et maudit probablement ces bactéries ou levures qui mettent si longtemps à pousser. Le scientifique frustré, ne se doutant pas que je l'observe depuis l'extérieur, se dirige alors vers l'un des ascenseurs, puis la porte se ferme. Une poignée de secondes plus tard, la porte métallique de la machine s'ouvre à nouveau. Et l'ascenseur est vide. La personne a disparu. Le silence reprend ses droits.

Et là, soudainement, je me dis que si je faisais partie d'une peuplade sauvage ou technologiquement peu évoluée, au lieu d'être un homme moderne possesseur d'un lecteur mp3 portable, et que j'observais une telle scène de loin, une seule conclusion effrayante s'imposerait à mon esprit primitif mais néanmoins aiguisé et logique: ce bâtiment cache en son sein une énorme bête vorace dont la triple bouche avide et métallique avale d'un seul coup les pauvres victimes humaines qui ont la malheureuse idée de s'en approcher, et même de s'y réfugier volontairement, sans doute trompées par quelque fausse odeur de nourriture diffusée par une glande spécialisée du monstre. Une fois la victime atrocement assassinée, ses cris d'agonie étouffés par l'épaisseur des parois, probablement déchiquetée, et ses restes rapidement transférés dans un estomac invisible et souterrain dans lequel des acides puissants vont lentement les digérer, le cycle recommence, et l'immonde gosier à l'appétit infini s'ouvre à nouveau, silencieux et calme, attendant sa prochaine victime. Parfois, après le rapide festin, si l'on tend l'oreille, on peut même entendre un petit rot discret.

A partir de maintenant, méfiez-vous des ascenseurs.





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