Publicité éhontée de geek musicalement satisfait

J'ai horreur de la publicité. Dans mes mauvais jours, je pense que c'est un des systèmes les plus pervers de manipulation mentale et de désinformation, un concept orwellien qui remplace dans nos sociétés capitalistes la propagande officielle des dictatures. Je ne la subis pas à la télévision, puisque de télévision je n'ai point. Depuis huit ans que j'ai un site web, il n'y a jamais eu de bandeau publicitaire à côté de mes écrits. Si l'on excepte mon enthousiasme d'amateur indépendant pour chanter les louanges de quelques artistes holographes dont j'apprécie les créations et le travail, je n'aime pas beaucoup parler de produits de consommation courante, surtout s'il s'agit du dernier gadget électronique dont tout le monde parle sur le net. Pourtant, même si je le cache comme une maladie honteuse, je suis un geek. Tenez, pas plus tard que la semaine dernière, j'étais à deux doigts d'acheter un Roomba après avoir joué avec un exemplaire pendant une demi-heure dans le rayon "aspirateurs" d'un grand magasin de Boston. Au dernier moment, j'ai entendu la voix du bon sens cévenol de ma mère dans mon crâne: "Qu'es aquò cette caguade encore? Tu ferais mieux d'économiser pour ta retraite au lieu d'acheter des puñetas", et j'ai reposé ce joyau technologique.

Une longue et inutile introduction pour faire passer la pilule suivante: je vais aujourd'hui faire, sans même rougir une seconde, de la publicité pour un produit commercial remarquable qui a révolutionné ma vie de geek. Pas vraiment de la publicité, puisque je ne suis pas payé pour ça. Disons, un compte-rendu d'un utilisateur lambda très satisfait.

J'exagère. Ce produit a juste révolutionné mon approche de la musique. En fait, il s'agit d'écouteurs portables.

Après avoir acheté, il y a quelques années de cela, un lecteur portable de mp3 Archos avec un disque dur de 20 giga-octet, suffisant pour y transférer ma collection de CDs et quelques milliers de perles téléchargées ici et là, je me suis trouvé face à un problème. Les écouteurs fournis avec n'étaient ni d'une qualité ni d'une puissance suffisantes. Je travaille tous les jours dans un laboratoire dans lequel il y a un constant bruit de fond grâce aux multiples frigidaires, freezers, agitateurs de cellules, incubateurs, chambres froides, centrifugeuses. C'est un son grave, lancinant, et très ennuyeux. Penser à un film de science-fiction qui se déroule dans un immense vaisseau spatial. Les écouteurs par défaut n'arrivaient pas à masquer ce bruit. Même chose dans la rue, dans un avion, dans un train.

J'ai pensé un moment acheter un petit amplificateur portable, mais c'était une mauvaise idée: se contenter d'augmenter le volume m'aurait arraché les oreilles trop rapidement. J'ai aussi pensé aux casques avec réduction active du bruit (par production d'anti-bruit, un concept techniquement amusant). J'ai fini par me plonger dans des sites internet sur l'acoustique, les haut-parleurs, les systèmes Hi-Fi. En fait, il existe toute une sous-culture fascinante à ce sujet. Des types passent des heures à tester des nouveaux produits, à mesurer des spectres de fréquences, à discuter électronique, voire à s'écharper dans des forums à propos de détails techniques plutôt hermétiques pour le non-initié, et même à se fabriquer leurs propres haut-parleurs ou casques audios à coup de fer à souder. Quand les discussions toutnaient autour des produits de très haute qualité, un nom revenait souvent: Etymotic Research.

C'est une société basée à Chicago, créée par des scientifiques. Ils se spécialisent dans les écouteurs pour musiciens professionnels, et dans les aides auditives pour malentendants. Mais ils ont aussi mis au point des produits pour amateurs de musique. Ce sont des écouteurs très spéciaux: extrèmement petits, ils s'enfoncent directement dans le canal auditif. Et en profitent pour bloquer tout son extérieur grâce à plusieurs couches de mousse au profil étudié. On a donc une réduction passive des bruits extérieurs (think boules Quiès), qui produit une bulle de silence très agréable, dans laquelle peut se développer un son pur.

Evidemment, la miniaturisation et la qualité ont un prix. Etymotic ne vend en gros que deux types d'écouteurs pour la musique: les ER-4P autour de 250 dollars (chez Headphone.com, par ailleurs un excellent site d'information et de vente), et les ER-6, une version un peu moins chère mais toujours de très bonne qualité, à la moitié de ce prix. J'ai acheté ces derniers il y a plus d'un an.

L'effet magique a été immédiat. L'isolation est réelle et change tout. Au travail, je mets parfois ces écouteurs sans même les connecter. On entend alors les bruits de son corps, la moindre déglutition se transforme en tsunami, un grattage anodin du crâne d'un index innocent fait penser à un hoquet de tronçonneuse, c'est assez curieux. Mais la révélation se fait quand on envoie enfin la musique. Le son est parfaitement clair, limpide, puissant, cristallin (d'autres synonymes ici), on est enfermé dans son petit monde musical coupé de l'extérieur, plus rien n'interfère. Il y a une impression de connection directe du son avec son cerveau. De la musique intérieure. Chaque instrument se détache des autres, à tel point que j'ai quasiment redécouvert des chansons écoutées des milliers de fois, que ce soit un vieux Clash, "If I should fall from grace with God" des Pogues, ou le Nissi Dominus de Vivaldi. Mes collègues autour de moi me parlent, et je ne vois que leurs bouches qui s'activent, je ne les entend pas, je suis ailleurs. Même chose dans un avion. Jamais je n'avais pu écouter les Gymnopédies de Satie, par exemple, ou de la harpe, ou même du Brassens au cours d'un vol. Pareil pour d'autres musiques, moins basées sur la subtilité et plus sur l'énergie, qui sonnaient avant comme une sorte de plâtre sonore rapidement fatiguant, incapable de masquer le vrombissement des réacteurs.

Quand je m'insère ces petits machins dans les oreilles (ce qui m'a pris quinze minutes devant un miroir la première fois, ayant peur de les enfoncer trop ou pas assez profondément - et pour être franc j'y trouve maintenant un plaisir que je qualifierais de quasi-sexuel, l'oreille étant un orifice corporel nullement innocent, je me souviens d'ailleurs d'une fille qui... Hmmm, je m'égare) les gens me regardent étrangement. On s'habitue. Pour donner une idée de la tête de ces écouteurs quand on les porte, un amateur québécois a pris quelques photos. Sinon, voici les miens à gauche comparés à mon index, et une meilleure photo à droite, piquée sur leur site.

Oyez bonnes gens, je vous le dis: les écouteurs d'Etymotic ont changé ma vie.

Fin de la pause publicitaire.




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