Souvenir semi-imaginaire

Elle préparait le café dans sa petite cuisine. Il devait être autour de cinq heures du matin. Je fumais à la fenêtre ouverte, je regardais la ville, encore silencieuse. Dans une heure tout au plus, la vie allait reprendre, le cycle recommencer. La nuit finissait, le jour commençait à peine à se lever, moment intermédiaire et calme, temps arrêté, transition suspendue entre ce qui a été et ce qui va être. Des minutes d'or. Je pouvais sentir l'humidité de la Méditerranée toute proche. Elle a apporté le café sur la table en bois et mis un disque de musique irlandaise. Nous savions elle et moi que c'était notre dernier matin ensemble. Je lui ai souri.

"Tu viendras me voir dans mon pays?", elle m'a demandé en ajoutant du sucre dans sa tasse, sans me regarder. Sa façon de prononcer le français me fascinait. On devinait facilement qu'elle était étrangère. Et puis il suffisait de regarder ses yeux.

"Je vais essayer. Peut-être cet hiver. Mais je ne sais pas si je supporterai le froid.", j'ai répondu en plaisantant à moitié. Elle a esquissé le début d'un sourire.

J'allais attraper une petite cuillère sur la table, mais elle a interrompu mon geste en prenant ma main. Elle l'a regardée longuement, l'étudiant en détail, comme s'il s'agissait d'un objet inconnu et mysterieux qu'elle voyait pour la première fois. Son pouce, à peu près aussi large que mon petit doigt, caressait doucement l'intérieur de ma paume. Je suis resté silencieux. Puis elle a levé ses yeux brillants vers moi.

"Toi, je t'oublierai un jour. Ton nom, ton visage, ton odeur, le son de ta voix, les mots que tu m'as dit. Tout ça disparaitra lentement de ma mémoire. Mais je me souviendrai de tes mains."





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