Rêves d'espace

C'est l'histoire d'un voyage peu commun.

Quelques milliards de kilomètres. A l'échelle de l'Univers, presque rien. A l'échelle humaine, une gigantesque et impensable odyssée. Depuis la Terre, anecdotique troisième planète d'un système solaire relativement moyen, jusqu'à Jupiter, géante gazeuze et cinquième planète du même système. Une sonde spatiale vieillotte, conçue dans les années 70, lancée en 1989, commandée par un cerveau électronique tournant à 2 Mhz, à peu près aussi rapide qu'une machine à calculer vendue en supermarché. Une rapide accumulation d'énormes problèmes. La grande antenne principale qui ne se déploie pas et devient inutilisable, des bidouillages incroyables, à plusieurs centaines de millions de kilomètres de distance, pour utiliser à la place une petite antenne secondaire ridiculement lente, qui transmet à 10 bits par seconde (environ une heure pour transmettre ce texte, par exemple). Un enregistreur mécanique à bande magnétique, pour stocker les données scientifiques et les images en attendant leur transmission, dont le retour en arrière fonctionne mal. Une reprogrammation complète des microprocesseurs pour utiliser des algorithmes de compression, et sauver la mission.

Malgré tous ces problèmes, ce vieux vaisseau de bric et de broc a accompli au cours de sa mission d'exploration bien plus que ce qui avait été prévu. Il a été le témoin de spectacles incroyables, que nous, pauvres humains prisonniers de notre planète, ne verrons jamais. En chemin, il a étudié l'atmosphère dense et brûlante de Vénus, s'est retourné pour prendre une dernière photo de notre planète et de sa lune, comme un au revoir, puis, en passant au travers de la ceinture d'astéroïdes entre Mars et Jupiter, en a frôlé plusieurs de près, et a même découvert le premier astéroïde ayant son propre petit satellite.

Arrivé au voisinage de Jupiter après six ans de voyage, il a été le témoin de l'impact colossal d'une comète dans l'immense planète. A largué une sonde dans son atmosphère. Photographié des aurores boréales. Il a exploré à très basse altitude les quatre satellites majeurs de Jupiter, vu des fontaines de lave jaillir des entrailles de Io, survolé les surfaces glacées de Ganymède et Callisto, photographié des icebergs sur Europa, et découvert que cette lune, dont la surface toujours en mouvement ne montre quasiment aucun cratère, abrite certainement un océan d'eau liquide sous sa couche de glace, grâce à sa chaleur interne, et possède donc tous les ingrédients nécessaires pour développer cette petite étincelle biochimique particulière à la Terre: la vie.

La vieille sonde devait rester deux ans en orbite autour de Jupiter. Elle est finalement restée huit ans, et fonctionnait encore à peu près correctement, malgré les problèmes techniques, malgré le froid du vide spatial, malgré l'immense quantité de radiation reçue. Ce qui en dit long sur les ingénieurs qui l'ont construite. La précision dans ses survols de divers corps célestes, quelques centaines de kilomètres alors que la sonde se trouvait à plus de 600 millions de kilomètres de la Terre, et qu'une simple commande dans un sens ou dans l'autre nécessite plus de 45 minutes pour faire le trajet, en dit aussi beaucoup sur la qualité et la finesse des calculs des navigateurs au sol.

Mais le pauvre vaisseau n'avait presque plus de carburant pour ajuster sa trajectoire. Et curieusement, c'est une de ses propres découvertes qui l'a condamné à mort: Europa pouvant abriter de la vie dans son océan souterrain, il fallait éviter à tout prix qu'un vaisseau spatial probablement contaminé par des bactéries terrestres ne s'y écrase. Il a donc été décidé d'utiliser les dernières gouttes de carburant pour freiner suffisamment son orbite, jusqu'à ce que la force de gravitation impitoyable de Jupiter ne l'attire définitivement dans son enfer intérieur.

Après quatorze ans de bons et loyaux services, le 21 Septembre 2003, il y a un peu moins d'un mois, la sonde a pris sa dernière image, éteint ses capteurs, et à 14:57 heure de Boston, a plongé dans l'atmosphère de Jupiter, où elle s'est vaporisée.

Le nom de ce fabuleux voyageur était Galileo.





I've seen things you people wouldn't believe.
Attack ships on fire off the shoulder of Orion.
I watched C-beams glitter in the dark near the Tannhauser gate.
All those moments will be lost in time,
like tears in rain.

Time to die.


[Replicant Roy Batty in "Blade Runner"]




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