Trash snobs

Le premier "flash mob" a eu lieu a Paris. Ce "nouveau phénomène urbain", sans cause, sans motif, sans importance et sans conséquence, pour jeunes adultes cultivés à pouvoir d'achat élevé, possédant ordinateur, téléphone portable et un peu de temps à perdre, a réuni cent personnes dans une ville de dix millions d'habitants. Pourtant, ce non-événement a eu droit à une couverture médiatique inversement proportionnelle à l'importance de la manifestation. Effet de loupe habituel: ça n'existe quasiment pas, ça n'a aucun intérêt, ça concerne une poignée de gens, mais puisque les journaux, la télévision et les blogs en parlent, et comme ça a un nom vaguement américain, alors ça devient l'événement du mois. Le vide comme un manifeste de la culture moderne. Je n'ai rien contre le néant: j'aime bien m'y plonger de temps à autre, tout seul dans mon coin. Mais, par définition, le vide ne peut pas se partager avec d'autres.

Le flash mob est un détournement du paysage urbain pour le transformer en vaste terrain de jeu? Soit. Ca existe depuis que les villes existent. En fait, malgré ce que j'écris plus haut, je trouve le concept assez intéressant, tant qu'il reste à l'écart de toute médiatisation. J'aurais même pu y participer par curiosité. J'aime les détournements. Et je regrette que pas un seul parisien n'ait eu l'idée de détourner ce premier flash mob. Il aurait suffi de quatre ou cinq amis motivés pour ruiner les belles images attendues de cent personnes à terre sous la pyramide du Louvre. Les idées ne manquent pas. Esthétique: rester debout et ouvrir d'énormes parapluies rose fluo au moment ou les flashs ont crépité. Politique: déployer en quelques secondes une grande banderole "Chirac au tribunal". Ironique: déployer la même banderole avec un message amusant, de type "Sponsorisé par Nokia" ou "Canicule au Louvre: 50 morts" ou encore "Nettoyage du sol en cours". Les méta-détourneurs auraient pu subtiliser l'impact médiatique pour leur propre compte, ou pour rajouter une couche de chaos surréaliste au happening bien huilé. Ou semer la confusion en organisant un rassemblement pirate, ou en distribuant des instructions contradictoires ou absurdes, pour tester le panurgisme des participants: "A 17h30, baissez votre pantalon, roulez une pelle à votre voisin(e) de gauche, puis chantez l'Internationale". La, ça aurait effectivement été amusant.

A propos de surréalisme et de détournements, ça me rappelle cette petite anecdote que j'avais lu quelquepart. Un jour, un visiteur est allé dans un musée d'art moderne qui exposait des ready-made de Marcel Duchamp. Il s'agissait d'une série d'urinoirs publics, transformés en objets d'art par le simple fait de les exposer dans un tel environnement. Un concept révolutionnaire inventé par les surréalistes, faisant table rase de toutes les conventions passées, qui oblige à se poser des questions sur la nature de l'art et des limites de l'esthétique. Le visiteur en question a regardé les urinoirs un moment, pensif, puis a franchi le cordon qui les séparaient du public, a défait sa braguette et a pissé dedans. Un geste tout aussi révolutionnaire que celui de Duchamp, une démarche artistique qui a soudainement ramené l'objet d'art à sa fonction première. Détournement du détournement. Le visiteur a du payer une amende pour son geste, mais je suis certain que les surréalistes auraient applaudi.

Une seconde anecdote. Au debut des années 90, pendant le grand concert final des Etats Généraux du Rock a Montpellier, avec quatre ou cinq groupes (la tête d'affiche était Noir Désir ou la Mano Negra, je ne me souviens plus), le chanteur des Satellites, entre deux chansons, est parti dans un discours halluciné, la salle était chauffée à blanc, et il a demandé à tout le monde de tomber par terre quand il compterait jusqu'a trois. Et ça a marché. Six mille personnes dans le Zénith foudroyées sur place en une seconde. Sans téléphone portable, sans instruction écrite et sans caméra.





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